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LOSAKO
23 juillet 2009

Justice : Joseph Kabila pris dans son propre piège

MagistratureLes magistrats révoqués par le chef de l’Etat se sont constitués en «collectif». Ils sont décidés à faire valoir leurs droits. Ils n’excluent pas de saisir les juridictions internationales dans le cas où le recours gracieux se révélerait infructueux. On va assister à un bras de fer entre la Présidence de la République et des magistrats. Ceux-ci fustigent le non respect de la procédure. En tous cas la « réforme» de la Justice claironnée par le premier magistrat congolais trahit une certaine volonté de caporaliser l’appareil judiciaire. Le «raïs» a profité pour placer ses «hommes». Certains ne sont même pas titulaires d’un numéro matricule.

«Les Congolais sont vite contents et vite déçus», entend-on dire. Un concert d’«applaudissements» a suivi la publication, mercredi 15 juillet, des ordonnances présidentielles portant révocation, démission d’office et mise à la retraite des magistrats. Une certaine presse kinoise affichait une indécente béatitude. «Depuis la décision présidentielle de révocation de certains magistrats, la joie est exprimée dans l’opinion», note un confrère kinois. «L’opinion unanime salue de deux mains la décision du chef de l’Etat d’avoir purifié tant soit peu la magistrature de la République», enchaîne un autre. «(…), la purge devra se poursuivre également dans d’autres institutions (…)», conclut un quotidien. Dans la rubrique «Le Point» de l’Agence congolaise de presse, l’administrateur délégué général de ce média officiel parle de «coup de balai» opéré par le chef de l’Etat. Un coup de balai, ajoute-t-il, qui «peut être considéré comme un signal fort et positif, dans sa détermination dans le chantier de changement des mentalités, d’ouvrir les portes de prison à tous les coupables des actes de corruption, de concussion et d’impunité.» L’approbation la plus surprenante est venue du barreau. Dieu seul sait la complicité existant entre les magistrats et les avocats. Dans les milieux judiciaires congolais, certains avocats se comportent en véritable «rabatteurs». Ils n’hésitent pas à «conseiller» à leur client de mettre la main dans la poche pour «motiver» le magistrat.

Changer les conditions générales du magistrat

A côté des zélateurs, il y a ceux qui ont choisi de garder leur sérénité. Un certain esprit critique. C’est le cas du député national Gilbert Kiakwama kia Kiziki. Celui-ci considère la réforme de la Justice comme un «élément fondamental de l’existence de l’Etat de droit.» Il ajoute cependant que cette réforme ne doit pas se limiter à un changement d’hommes. «Faudrait-il encore, commente-t-il, que la réforme prenne en compte l’amélioration des conditions de travail et sociales des magistrats. Dans le cas contraire, il faut craindre que les mêmes causes engendrent les mêmes effets.» Un ancien magistrat d’enfoncer le clou : «L’Etat doit attaquer le mal dont souffre la magistrature à sa racine. Les magistrats sont chosifiés. Le salaire du magistrat ne lui permet nullement d’avoir un minimum vital. Il doit mendier pour entretenir sa famille.» Combien gagne un magistrat ? Au niveau du tribunal de grande instance, le salaire oscillerait entre 300 et 400 USD. Les conseillers à la Cour d’appel et à la Cour suprême de justice (CSJ) gagneraient respectivement 700 USD et 1.500 USD. Le PGR et le Premier président de la CSJ percevraient une «prime» dont la hauteur n’est pas connue.

Un passage de l’allocution prononcée, le 15 décembre 2008, par Joseph Kabila, devant les deux Chambres réunies en Congrès, semble confirmer l’inefficacité des réformes menées jusqu’ici : «Quant au pouvoir judiciaire, les changements intervenus à la tête des organes juridictionnels avaient pour but de créer les conditions d’une justice qui soit véritablement juste et équitable. Nous ne devons pas oublier que notre Justice traînait une vieille gangrène nécessitant une chirurgie appropriée.»

Sept mois après ce discours, le «raïs» est revenu à la charge par la série d’ordonnances du 15 juillet. Devrait-on conclure que la «vieille gangrène» n’a pas été extirpée ? La preuve est ainsi faite que la «réforme» opérée en 2008 n’a pas apporté le changement escompté. Pourquoi ? Toute la question est là. Le contenu des dernières ordonnances appelle quelques observations.

Les mises à la retraite

Le procureur général de la République Mushagalusa Ntayondeza Ndi et le premier président de la Cour suprême de Justice Tikamanyire Bin Ndigeba ont été mis à la retraite. Motif : ils ont atteint 65 ans d’âge. Certains analystes assurent que le nouveau Statut des magistrats a porté l’âge de la pension à 70 ans. Selon certaines sources, Mushagalusa «paierait» sa proximité avant l’ancien président de l’Assemblée nationale Vital Kamerhe…Les mêmes analystes relèvent ce qu’ils appèlent un «manque d’élégance» dans le chef du ministre de la Justice. Il est de coutume, indique-t-on, que le ministre de la Justice prévienne les magistrats ciblés 12 mois avant la date effective du départ à la retraite. Il s’agit de préparer la personne concernée afin que la pension ne soit pas assimilée à une punition. Ces usages n’auraient, semble-t-il, pas été observés.

Les nominations

Plusieurs magistrats nommés détiennent un numéro matricule commençant par les chiffres «504…» ou «505…». «Il s’agit de jeunes magistrats dont le recrutement date de moins de dix ans», explique un juriste joint à Kinshasa. C’est le cas notamment du tout nouveau procureur général de la République. Son nom : Kabange Numbi. Il porte le numéro matricule 504.595. Selon des informations obtenues, ce magistrat portait depuis une année le grade d’avocat général avant d’être «bombardé» PGR. En principe, c’est le premier avocat général de la République, le plus ancien en grade, qui est censé occuper ce poste. Il s’agit donc d’un cas patent de favoritisme de nature à empoisonner le climat au sein du Parquet général de la République. Comment pourra-t-il se faire obéir par des collègues qui portent le même grade depuis 15 ou 20 ans ? Le cas du PGR Kabange est loin d’être unique en son genre. Le chef de l’Etat a nommé plusieurs jeunes magistrats au grade de procureur de la République. C’est également le cas à la tête de Tribunaux de grande instance et de Cours d’appel. Plus grave, certains magistrats promus n’ont pas de numéro matricule. Celui-ci est remplacé par la mention «NU». Traduction : Nouvelle unité. «Ce sont des personnes ayant bénéficié d’une nomination politique via un arrêté ministériel. Ces personnes ne sont pas enregistrées à la Fonction publique», précise un juriste.

Les révocations

Les magistrats révoqués figurent sur une ordonnance collective. Cette situation a fait bondir un éminent juriste : «C’est une purge néo-mobutiste ! Comment pourrait-on savoir qui a fait quoi dans ce fourre-tout où certains noms sont d’ailleurs mal orthographiés?» Il se confirme en tout cas que les magistrats sanctionnés n’ont pas été entendus devant le Conseil de discipline. Un grave vice de forme. «Le président de la République a le pouvoir de nommer et de révoquer un magistrat. Cette prérogative est assortie cependant d’une condition. A savoir : sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature.» L’homme qui parle est le magistrat Isofa Nkanga, 1er vice-président du syndicat autonome des magistrats (Synamag). Selon lui, les propositions envoyées au Président de la République ne sont pas conformes à la loi. Joint au téléphone à Kinshasa, Isofa de faire remarquer : «Vous qui vivez en Europe, vous avez sans doute l’occasion d’apprécier l’importance qui est attachée au respect de la procédure.» Pour lui, les magistrats révoqués entendent introduire leurs recours gracieux. En cas d’insatisfaction, il n’est pas exclu qu’ils portent ce contentieux devant les juridictions internationales.

Une semaine après la publication de la série d’ordonnances présidentielles querellées, on apprenait que les magistrats révoqués se sont constitués en un «collectif». But : obtenir le respect de la procédure. Certains d’entre eux, joints au téléphone, accusent le premier magistrat du pays d’avoir prétexter les réformes en cours « pour favoriser» les «Swahilophones».

"Deux poids, deux mesures"

Des magistrats interrogés par radiookapi.net parlent de «deux poids, deux mesures». Pour eux, des magistrats ont été relevés de leurs fonctions sur base d’allégations de corruption alors que des soupçons du même genre pèsent sur des membres de l’Exécutif et du Législatif. «Là, aucune sanction n’a été administrée.» Joseph Kabila va-t-il demander aux autres institutions nationales de suivre son «exemple» face à la tournure politico-judiciaire que semble prendre cette affaire? Signalons que les magistrats «virés» viennent de recevoir un soutien inattendu de la part de l’Association de défense des droits humains «Asadho». Le groupement a mis en place, depuis vendredi 17 juillet, une équipe d’enquête chargée de vérifier la «véracité des charges» retenues contre les infortunés magistrats. «Notre équipe va entrer en contact avec chacun des magistrats révoqués pour voir si chacun d’eux a présenté ses moyens de défense. Mais elle va aussi vérifier si, pour les magistrats qui ont été retraités, les conditions requises ont été respectées par leurs chefs», a déclaré Jean-Claude Katende. Les résultats de l’ enquête pourrait être publiés dès la semaine prochaine. «Joseph Kabila est pris dans son propre piège, conclut un magistrat. Le président de la République devrait anticiper en rapportant ses ordonnances controversées. A défaut, il n’est pas sûr qu’il sorte gagnant de ce bras de fer…»

B. A. W. 

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