Après la guerre des 22 et 23 mars, il y aura-t-il une conférence sur la paix à Kinshasa ?
Relecture du rapport d'une équipe multidisciplinaire de la Monuc Depuis
le mois de mars 2007, nous attendons avec impatience les résultats des
enquêtes promises par le gouvernement du Congo sur la guerre de
Kinshasa. Habitués aux promesses démagogiques de nos gouvernants
actuels, nous risquons d'attendre pendant très longtemps.
Souvenons-nous que la question de la double nationalité des députés de
l'actuelle Assemblée Nationale n'a jamais été traitée jusqu'à ce jour.
La guerre des Kivus est venue voler la vedette à plusieurs questions
d'intérêt national dont le traitement dans l'urgence nous aurait permis
de voir assez clair dans la gestion de la chose commune chez nous. En
attendant que ces questions reviennent sur le devant de la scène
nationale, nous relisons le rapport établi par une équipe
multidisciplinaire chargée d'une enquête sur la guerre des 22 et 23
mars 2007. De toutes les façons, que ça soit à Kinshasa ou au Kivu,
plus d'une année après la mascarade électorale de 2006, le Congo dit
démocratique fait la piteuse expérience d'un Etat manqué. De prime
abord, soulignons que pour ceux et celles qui connaissent la définition
des "Etats manqués", la guerre de Kinshasa comme celle du Kivu guerre
en sont une illustration. Rappelons que les "Etats manqués" ont ceci
comme traits essentiels : "Ils ne peuvent pas ou ne veulent pas
protéger leurs concitoyens de la violence, voire de la mort. Ils ont
tendance à se croire au-dessus des lois, nationales ou internationales,
donc libres de se livrer à des agressions et à des méfaits. Et quand
ils ont les dehors d'une démocratie, ils souffrent d'un grave "déficit
démocratique" qui prive leurs institutions formelles de contenu réel."
(N. CHOMSKY, Les Etats manqués. Abus de puissance et déficit
démocratique, Paris, Fayard, 2007, p.8) Le constat de l'équipe de la
Monuc abonde dans le sens de cette définition. En effet, "L'équipe a
établi que de graves violations des droits de l'homme furent commises
durant et après les violences. L'équipe a documenté des incidents
impliquant l'usage disproportionné, extrême ou sans discrimination de
la force survenu tout au long des Forces Armées de la République
Démocratique du Congo (FARDC) et la Garde (dite) Républicaine (GR). Des
armes lourdes furent utilisées par les deux camps, tant dans la ville
que dans les quartiers résidentiels à forte densité de population (…)".
Un usage abusif de la force sans objectif militaire
Cet usage irréfléchi de la force a atteint son comble quand les
enquêteurs remarqueront que dans les quartiers visés, "aucun objectif
militaire n'était à même de justifier les moyens ou le degré de la
force utilisés ". Aucune précaution n'a été prise pour protéger la vie
des populations. L'instrumentation des FARDC, de la GR, de la Police
d'Intervention Rapide, des Services de Renseignement de la Police et
des autres services de sécurité par les gouvernants en place ligués
contre Jean-Pierre Bemba et sa garde (DPP) a été mise à profit dans les
exécutions sommaires, dans les arrestations arbitraires et dans les
exécutions extra-judiciaires. L'équipe témoigne qu'"au moins 40 civiles
et soldats du DPP en reddition, auraient ainsi été victimes
d'exécutions sommaires, principalement perpétrés par la GP (GR), durant
ou à la suite de ces opérations. Des informations indiquent l'existence
des fosses communes et la présence de corps de victimes non-identifiées
(civiles et militaires) repêchés dans le Fleuve Congo (certaines étant
ligotées et les yeux bandés) confirment le fait que le nombre
d'exécutions sommaires commises a été sensiblement plus élevé durant et
après les événements." Cette équipe indique que "plus de 200 personnes
ont été arrêtées par les soldats des FARDC, par la GR, la Police
d'Intervention Rapide, les Services Spéciaux de Renseignement de la
Police, mais aussi les Services de Renseignements Militaires et Civils,
durant et après les combats, sans respecter les procédures légales et
le plus souvent parce que la personne arrêtée était tout simplement
originaire de la province de l'Equateur. Un nombre important de
victimes a subi des traitements cruels, inhumains et dégradants au
cours de leur détention."
Que vise l'usage de la violence dans les Etats manqués?
Il vise la création d'un climat de peur entretenu par les
intimidations, les menaces de mort et les différentes formes de
harcèlement. La population civile, l'opposition institutionnelle et les
journalistes en ont été victimes. Créer un climat de peur peut aider
les bourreaux dans le camouflage de la vérité des faits. Ce climat de
peur ayant gagné les masses importantes de nos populations a rendu le
travail de l'équipe de la Monuc difficile. "L'enquête a (…) été rendue
plus compliquée, écrit cette équipe, par le climat politique et
sécuritaire qui régnait à la suite des événements. Beaucoup de victimes
et de témoins rechignaient à rencontrer l'équipe, et ce en particulier
au début de l'enquête. D'autres étaient disposés à parler aux
enquêteurs mais craignaient pour leur sécurité personnelle et affirmer
qu'ils se cachaient. De même dans les hôpitaux et les centres médicaux
ainsi que dans certains secteurs clés, les gens étaient mal à l'aise
quand il s'agissait de rencontrer des membres de l'équipe car ils
étaient convaincus d'être sous la surveillance des services de
renseignements". Les proches et les milieux ayant perdu leurs membres
n'ont pas pu témoigner même s'ils savaient qu'ils avaient été jetés
dans le Fleuve Congo ou enterrés dans les fosses communes des
cimetières maintenus sous la surveillance des soldats de la GR et des
agents de l'ANR peu après les événements. L'usage excessif de la force
les 22 et les 23 mars et même après aurait aussi visé un génocide des
ressortissants de l'Equateur. En effet, "un certain nombre des
quartiers de ces communes (Barumbu et Limete) ont connu d'importantes
pertes en vies humaines et aussi matérielles entre les 23 et 25 mars,
particulièrement dans les secteurs pro-MLC, principalement habitées par
des personnes natives de la province de l'Equateur, comme Limete, Funa,
Socopao, Ofitra et Pakadjuma."
Quel est le bilan de cet usage excessif de la force?
L'équipe de l'ONU a revu à la hausse les chiffres officiels (60 tués et
74 blessés) publiés par les autorités de Kinshasa. Pour elle, "les
preuves de ce que 100 cadavres au moins ont été jetés dans le fleuve
Congo ou ensevelis dans les tombes anonymes dans les camps militaires
par les forces gouvernementales indiquent que le bilan des tués
pourrait être très élevé." Certains blessés (et qui seraient morts chez
eux) ne s'étant pas rendus dans les principaux hôpitaux par crainte d'y
rencontrer les soldats de la GR dont la présence en masse à certaines
morgues a été signalée plaident en faveur de ce bilan élevé. Et si nous
tenons compte du fait que "l'Hôpital Général de Kinshasa a, à lui seul,
enregistré 163 victimes, tuées ou blessées" et du refus de l'Inspection
Générale de la Santé de fournir le chiffre officiel global de victimes,
après avoir déclaré "ne pas avoir été autorisée à fournir les
informations pertinentes", il y a lieu d'affirmer que cette guerre a
fait trop de victimes inutiles.
L'usage de la force, négligence du gouvernement et rejet de la négociation
En lisant le rapport de l'équipe multidisciplinaire de la Monuc, une
seule grande conclusion se dégage : "La décision politique et militaire
globale de désarmer par la force le DPP (la garde de Jean-Pierre Bemba)
fut prise malgré qu'une solution négociée pouvait encore être trouvée,
et ce malgré le risque tout aussi évident qu'une telle opération et sa
préparation faisait courir à la population civile. Des actes de recours
à la force infondés, excessifs, sans discrimination, et comportant des
risques élevés, perpétrés par toutes les parties engagées dans les
combats, ont fait des victimes civiles et causé des dommages matériels
à la propriété privée." Pour l'équipe de la Monuc, "le gouvernement
congolais a fait preuve de négligence dans le cadre de son devoir de
protection de la population civile de Kinshasa en prenant la décision
de donner l'assaut contre les camps de Bemba ou d'ordonner des actions,
comme des mouvements des troupes, qui étaient susceptibles de provoquer
un affrontement armé dans le centre ville. Il a aussi manqué de prendre
en considération les dommages collatéraux qui allaient immanquablement
être causés par des actions qui furent entreprises au beau milieu d'un
jour ouvrable, sans avoir averti préalablement la population."
Les usagers de la force excessive et sans discrimination ont-il atteint leur but?
Depuis les 22 et 23 mars 2007, rien n'a été entrepris à Kinshasa en vue
d'établir les responsabilités des personnes et des institutions
impliquées. "Bien que le Président Kabila ait donné une conférence de
presse à propos des événements le 26 mars, il y eut fort peu de
réactions officielles par la suite : aucun bilan officiel du nombre de
victimes n'été communiqué et aucune explication précise n'a été fournie
au public quant à l'origine des combats. L'ouverture d'une enquête par
le Procureur Général dans le but d'ouvrir les poursuites contre
Jean-Pierre Bemba fut la seule action judiciaire remarquable prise à la
suite des événements. Aucune enquête, aucune poursuite n'a été engagée
contre la GR, les FARDC ou des éléments de la Police soupçonnés d'avoir
commis des violations graves des droits de l'homme au cours des
événements." En d'autres termes, la peur a gagné toutes les victimes de
cet usage irréfléchi de la force ainsi que leurs proches. Les députés
et sénateurs témoins de ces événements auraient donné leur langue au
chat. Donc, les usagers de la force irréfléchie ont atteint leur but :
semer la peur et la crainte dans les esprits afin de violer la vérité
sur les événements des 22 et 23 mars.
Bon à savoir
Depuis les années 1970 (et même un peu plus tôt), une guerre sans merci
est menée contre la démocratie par les forces du marché. Contrairement
à ce que "leurs petites mains" affirment officiellement, la démocratie,
en tant que principe de la gestion consensuelle de la gestion commune
sur fond d'un désaccord fondateur, est combattue à travers la plupart
des pays du monde. En Afrique, les supplétifs de l'ordre néo-libéral
mènent cette lutte en instrumentant l'armée, la police et les autres
services de sécurité. L'usage irréfléchi de la force, c'est-à-dire le
recours à la violence sans discrimination est devenu un mode de
gouvernement de la plupart des Etats. Le triomphe du marché mondialisé
marche de pair avec l'affirmation des Etats manqués. Le Congo, à cause
de ses richesses stratégiques, ne fait pas exception à cette règle. Ses
richesses constituent "sa malédiction". L'amateurisme, la mauvaise foi
et l'implication d'un bon nombre de gouvernants congolais actuels dans
les réseaux de prédation mondialiste feront du Congo, pendant assez
longtemps, un champ de prédilection pour un usage excessif et sans
discrimination de la violence. Dans son bilan sur la situation en RDC
de ce mercredi (26/12/2006), la Monuc se dit préoccupée face à la
violence qui perdure dans les Kivus. "La Monuc continue de déplorer la
persistance de violations des droits de l'hommes et du droit
international humanitaire en particulier celles commises par les FDLR
et les dissidents de Laurent Nkunda ainsi que d'autres milices et
groupes armés et des éléments des FARDC, de la Police nationale
congolaise (PNC) et d'autres services de sécurité et de renseignement."
Du mois de mars jusqu'au mois de décembre, ce sont les mêmes groupes et
services qui entretiennent la violence. Et la Monuc les dénonce
toujours de la même manière en sollicitant le gouvernement congolais
pour qu'il mette fin à ces violences et traduise en justice les auteurs
de ces crimes.
La radio Okapi rapporte qu'un motard a été assassiné la nuit dernière
par des hommes armés en tenue uniforme à Aru, à 260 kilomètres de
Bunia. " Les collègues de la victime appuyés par de nombreux civils
sont descendus dans la rue pour exprimer leur colère. Ils ont été
dispersés par des militaires qui ont tiré des coups de feu en l’air. Le
drame s’est produit dans la nuit de mardi à mercredi, vers 2h locales,
non loin du marché central d’Aru-centre. Les manifestants s’en sont
pris aux éléments de la 1ere brigade intégrée basée dans cette cité.
D’après eux, les auteurs du meurtre de leur collègue ne pouvaient être
que des éléments de cette brigade." Arriver à bout de cette violence
entretenue doit passer par la rupture des alliances avec les
pompiers-pyromanes. La Monuc n'y peut rien malgré ses multiples
dénonciations. Elle vit du soutien des pays dont les multinationales
sont impliquées dans les pillages des ressources du Congo. Les petites
descentes ponctuelles dans la rue n'y peuvent pas grand-chose : la
police politique veille. Appuyer les mouvements sociaux congolais et
ceux de la résistance dans leurs multiples actions peut, à terme, créer
des espaces d'un petit bonheur partagé. Oui. A terme. C'est-à-dire sur
des longues années d'efforts acharnés, accomplis par des quantités
importantes de gens procédant à une division raisonnable et rationnelle
du travail commun d'autodétermination. S'agissant de la guerre des 22
et 23 mars et d'autres questions laissées sans réponse (telles celles
liées aux contrats léonins, à Kahemba, aux massacres de Bundu dia
Kongo, etc.) par les gouvernants actuels, ces mouvements devraient
recourir en leurs seins aux services des "Kabulekedi nansha bidimu
biapita nkama" (c'est-à-dire les veilleurs-protecteurs de la mémoire
collective de nos populations) pour relancer un jour le débat et aller
jusqu'au bout. C'est à ces "Kabulekedi" qu'il appartient de demander
que les conférences pour la paix ne soient pas limitées à une seule
portion de notre territoire mais à tout le Congo. Les élections
concoctées de l'extérieur ayant marqué leurs limites, il faut tout
recommencer à zéro, remettre sur le chantier la Commission Justice,
Vérité et Réconciliation. Et que les élections plus inclusives aient
lieu.
J.-P. M