El «Che» au Congo
«Les pays socialistes sont dans une certaine mesure les complices de
l’exploitation impérialiste.» Dans un discours musclé prononcé le 24
février 1965 à Alger, Ernesto «Che» Guevara, envoyé spécial du cubain
Fidel Castro en Afrique, officialise sa rupture avec l’Union soviétique
et, par là même, avec le lider maximo dont il est toujours ministre de
l’Industrie. Tombé dans la nasse soviétique en raison notamment de
l’embargo américain décrété sur l’île, Castro ne peut pas se fâcher
avec ses puissants alliés qui reprochent par ailleurs à Guevara de
chercher le soutien de la Chine de Mao.
A l’issue d’une explication aussi longue qu’orageuse avec le dirigeant
cubain dès son retour à La Havane, Guevara, désireux de fomenter des
foyers insurrectionnels en Amérique latine, est envoyé faire la
révolution en… Afrique. Le documentaire de Jihan El-Tahri décrypte avec
minutie la genèse et le déroulé d’une intervention qui, du Congo à
l’Angola, va conduire près de 450 000 volontaires internationalistes
cubains à exporter durant vingt-cinq ans leur savoir-faire
révolutionnaire.
Lorsqu’il débarque au Congo à la tête d’une trentaine de combattants,
le «Che» alias «commandant Ramon» alias «Tatu»(le chiffre 3 en swahili)
a été rendu méconnaissable par les services secrets cubains. Rasé de
près et cravaté, costume strict et lunettes cerclées, Guevara se lance
immédiatement dans l’instruction militaire des «lumumbistes», les
partisans de l’ancien dirigeant de gauche Patrice Lumumba assassiné
quatre ans auparavant sur ordre de Washington. La guerre froide bat son
plein et l’Afrique est un enjeu stratégique important.
La force du film d’El-Tahri repose sur les témoignages des acteurs
retrouvés de l’époque. Les survivants de l’aventure africaine du Che,
les responsables russes, africains ou américains ont tous été passés
sur le gril par la réalisatrice. Et notamment Larry Devlin, chef du
bureau de la CIA au Congo qui raconte sans état d’âme comment il a reçu
la consigne de faire disparaître Lumumba et estime que le Congo,
«c’était un peu l’Irak d’aujourd’hui».
Mais le film est également truffé d’anecdotes sur la vie quotidienne de
ces guérilleros latinos dont on apprend par un leader africain hilare
qu’ils avaient une «peur bleue des crocodiles» du lac Tanganyka et qui
découvrent pour leur part l’abîme culturel qui les sépare de leurs
camarades africains. «C’était incroyable ! s’étonne encore Victor
Dreke, adjoint d’Ernesto Guevara. Les Africains abandonnaient leur
fusil dans le sable pour dormir à côté ! Il y avait des femmes dans les
campements et de la musique ! Et les gars partaient toujours en
permission !»
L’épopée africaine du «Che» sera un échec. Le Congo reste aux mains du
sinistre Mobutu. Guevara retournera faire le coup de feu en Bolivie et
y mourra, trahi et assassiné, le 9 octobre 1967. Mais en Guinée-Bissau,
au Mozambique ou en Angola, les combattants cubains poursuivront sa
lutte jusqu’en 1991.
Par Gérard Thomas
QUOTIDIEN : mercredi 3 octobre 2007
Cuba, une odyssée africaine 20 h 40, Arte.