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LOSAKO
1 septembre 2007

Assassinat de Serge Maheshe : à la douleur, la justice ne doit pas ajouter l’insulte d’un procès bâclé

SGEAprès le ridicule procès de l’assassinat de l’activiste des droits de l’homme Pascal Kabungulu en 2005, Bukavu vient de servir de cadre à un autre procès qui ne fera pas gagner aux magistrats une place enviable dans l’estime des Congolais.

Dans l’affaire de l’assassinat de Serge Maheshe, journaliste de la Radio Okapi, le tribunal militaire de garnison de Bukavu a condamné à mort le 28 août dernier, quatre personnes, Fredy Bisimwa et Mugisho Mastakila, d’une part, Alain Mulimbi et Serge Muhima, d’autre part. Deux couples que tout sépare et qu’absolument rien ne destinait à un sort commun. Alors que Serge Muhima et Alain Mulimbi, deux jeunes gens pourvus d’une solide éducation, étaient les meilleurs amis de Serge Maheshe, personne dans l’entourage de ce dernier ne connaissait Fredy Bisimwa et Mugisho Mastakila, « deux individus visiblement anormaux parce qu’intoxiqués ou drogués » d’après des parents de Serge et Alain. Les deux couples représentaient chacun l’une des deux pistes d’enquête possibles et les magistrats ont choisi la piste la plus invraisemblable, la plus ridicule et la moins crédible.

Alain Mulimbi et Serge Muhima ont donné aux magistrats une version des événements qui avait l’avantage de la clarté et de la cohérence en dépit du choc encore visible provoqué par l’assassinat de leur ami. Leur témoignange était d’autant important qu’ils étaient aux côtés de Maheshe au moment de son assassinat le 13 juin. Le 14 juin, pendant la reconstitution du crime, ils ont cru reconnaître deux des assassins, y compris celui qui avait tiré sur Maheshe. Ils l’avaient reconnu par sa voix et sa stature, parmi un groupe de personnes interpellées au cours de l’opération de bouclage organisé dans les heures qui avaient suivi l’assassinat. La personne en question, un militaire, était trouvée en possession d’une arme qui avait servi dans les heures correspondant à celles du crime et on pouvait vérifier si les douilles de balles recueillies sur le lieu du crime correspondaient bien à son arme.

Il y avait donc là une mine d’or comme disent les spécialistes des enquêtes criminelles et c’est d’ailleurs autours de cette piste que le procès a commencé sur le chapeau de roues dès le lendemeain de l’assassinat.

Mais les magistrats ont brusquement choisi de tout abandonner une quinzaine de jours plus tard et de creuser une piste totalement nouvelle. Tout est alors allé très vite. Le soir du 30 juin – un samedi et jour férié ! – les parents de Maheshe voient débarquer le magistrat instructeur. Il déclare détenir des « faits nouveaux » sur lesquels il voudrait entendre Serge Muhima. Ce dernier est alors aussitôt appelé et prié de suivre le magistrat à l’auditorat. Il y est présenté à deux individus qu’il n’avait jamais vus auparavant, Fredy Bisimwa et Mugisho Mastakila. Ces derniers étaient les « faits nouveaux ». On apprend alors qu’ils s’etaient volontairement offerts à la justice où ils s’étaient présentés comme les exécuteurs du crime commandité par quelqu’un contre paiement de 30.000 $US. C’est à peu près tout ce qu’ils aient jamais déclaré de cohérent. Le reste de leurs déclarations aurait pu leur valoir, en circonstances normales, un renvoi en hôpital psychiatrique dans le meilleur des cas, sinon une condamnation pour obstruction à la justice.

Voyant Serge Muhima, l’un des individus dit le connaître mais ajoute que « ce n’est pas lui le commanditaire ; mais c’est le Dr Alain Mihigo. » Mais on lui apprend que le Dr Alain Mihigo est décédé il y a plus de trois ans. Son compère prend alors la relève et déclare qu’il s’agit plutôt d’un « Dr Alain Muhindo. » Le magistrat ne paraît pas embarrassé. Il fait plutôt appeler Alain Mulimbi. Les deux individus disent alors le « reconnaître » comme le commanditaire de l’assassinat. Ils affirmeront à l’audience avoir été boire à l’hôtel Tanganika la nuit de l’assassinat en compagnie de Mulimbi pour fêter le crime. Mais le médecin qui avait accouru aussitôt après le meurtre ainsi qu’une dizaine de personnes pouvaient témoigner que Mulimbi ne les a jamais quittés de la nuit et personne à l’hôtel Tanganika ne l’avait vu.

Et ceci n’est qu’une fraction des contradictions dont ils ont émaillé leurs déclarations au cours du procès. Quant à l’arme qu’ils ont présentée comme étant l’arme du crime, la Monuc a offert de la faire examiner par des experts en balistique pour vérifier qu’elle correspond bien aux balles du meurtre, mais le juge a décliné l’offre. « Nous avons des aveux, que cherchons-nous d’autre ? », a-t-il rétorqué à la Monuc.

Voilà comment a été conduit le procès qui a abouti aux quatre condamnations à mort probablement les plus absurdes des annales judiciaires de notre pays. Et Dieu seul sait si l’histoire de la justice congolaise nous a déjà offert plus que son lot de procès d’opérette. Les tribunaux militaires, en particulier, ont fait jouer à la justice les scènes les plus spectaculaires de la tragi-comédie judiciaire qui se développe au Congo depuis quelques décennies.

On se souvient encore de la risible mise en scène dont le gouvernement du Premier ministre Nguz a fait jouer aux magistrats militaires dans l’affaire de la « mutinerie de la Voix du Zaïre » en février 1992 dans le but évident de justifier la fermeture de la Conférence nationale souveraine (CNS). On se souvient du soldat qui a fait rire la nation entière au cours du procès qui avait suivi. Aux avocats qui s’étonnaient qu’il n’ait pas été atteint par une balle qu’il prétendait avoir été tirée dans sa direction à bout portant à moins de deux mètres de distance, le soldat a expliqué que grâce à une excellente formation commando il avait réussi à « esquiver la balle. » C’était plus que le gouvernement ne pouvait supporter. Il faut dire que malgré tout il y avait encore de temps en temps un peu de scrupule chez les dirigeants de l’époque. Le lendemain quelqu’un a décidé d’interrompre indéfiniment le procès. La CNS a ensuite réouvert et même si les forces du progrès n’étaient pas encore au bout de leur peine, nous sommes nombreux à avoir bien rigolé plusieurs mois plus tard.

A Bukavu, aujourd’hui personne n’a le cœur à rigoler. Le théâtre que les magistrats du tribunal militaire de garnison viennent d’offrir au public est d’autant insupportable que les bukaviens ont l’impression que tout le monde se moque de leur douleur. Rien de ce que les magistrats ont fait ou manqué de faire n’a pu l’être sans l’approbation, au moins tacite, des autorités militaires et politiques de qui dépendent ces magistrats. Bien plus, du gouverneur de la province au commandant de la Garde présidentielle jusqu’à un haut conseiller du président de la République, toutes ces autorités étaient au courant de menaces et harcèlements que Serge Maheshe avait subis le 6 mai, c’est-à-dire un mois seulement avant son assassinat, de la part de deux soldats de la Garde présidentielle.

Les correspondances qu’il avait alors envoyées à ces autorités aussi bien qu’à Journalistes en Danger indiquaient bien que Maheshe se sentait en danger après les incidents du 6 mai. Or les témoins du meurtre ont identifié des soldats comme les probables auteurs de l’assassinat et ces soldats ont bien été arrêtés. Qui les a fait disparaître pour faire surgir à leur place les bouffons Fredy Bisimwa et Mugisho Mastakila ?

La Monuc, qui employait Maheshe et qui a suivi tout le procès, ne peut pas n’avoir pas remarqué les nombreuses fautes de procédure. Alors qu’elle a fait des déclarations dans le passé pour critiquer des procès dans lesquels aucun de ses employés n’était en cause, elle garde cette fois un silence qui ne fait qu’alimenter à Bukavu les spéculations les plus irrationnelles. Un proche de la famille de Maheshe me déclare à propos de la Monuc que « l’issue du procès l’arrange bien ». Toutes sortes de théories apparemment sans preuve ni fondement rationnel sont avancées par toutes sortes de commentateurs. Des parents de Maheshe croient savoir que ce dernier a été assassiné parce qu’il aurait découvert dans les locaux de la Monuc « des documents secrets très compromettants pour la Monuc. » Les gens disent avoir peur de s’exprimer au téléphone. La famille de Serge Maheshe se sent en insécurité, surtout après que deux de ses proches parents aient été violemment agressés à Bukavu le 15 août dernier.

Tout cela peut évidemment n’être que spéculations mais le silence de la Monuc et l’inaction des autorités qui ont laissé faire un procès complètement biaisé ne feront rien pour rassurer le public. Le recours en appel que les personnes condamnées ont introduit, si jamais il aboutissait, viendra trop tard pour apaiser une communauté traumatisée et ne pourra apporter que des demi-mesures là où une thérapie de choc est nécessaire. Seule une réouverture du procès pour des fautes professionnelles manifestes de la part des magistrats et des poursuites contre ces derniers seront la preuve que la justice a aussi vu les injustices que tout le monde a vues.

Pascal Kambale est Avocat à Kinshasa et directeur adjoint de OSI-AfriMAP. Les opinions exprimées ici sont propres à l’auteur en ne peuvent être attribuées à OSI

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