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LOSAKO
16 février 2008

16 février 1992 : que valent les vies fauchées ce jour-là ?

post_file_12991Il y a 16 ans, jour pour jour, la Marche d’Espoir des chrétiens était réprimée dans le sang. Ce jour-là, des millions de personnes se sont levées comme un seul homme pour réclamer la poursuite de la Conférence Nationale, où des délégués du peuple discutaient pour imprimer au pays un avenir meilleur. Depuis lors, le Collectif du 16 février, organisation de circonstance au sein de l’Eglise Catholique à Kinshasa, organise chaque année des manifestations pour commémorer cet évènement, dans une certaine intimité.

Au fil des années, après quelques cas de récupération politique, la mémoire du 16 février 1992 est de plus en plus reléguée dans les oubliettes. Les ténors actuels du pouvoir, en train de savourer les fruits d’une démocratie, dont les racines se sont nourries du sang des millions des Congolais, ne semblent guère se soucier des ces victimes, comme du reste des bien d’autres encore.

Un bref rappel de cet évènement révèlera qu’il s’agit d’un moment historique crucial pour la République Démocratique du Congo. A cet effet, en vue de mieux cerner mon propos, je vais faire un petit rappel de la Conférence Nationale (devenue souveraine à partir du 6 avril 1992), un forum d’espoir pour lequel le peuple s’est levé. Je vais ensuite évoquer la Marche d’Espoir elle-même ainsi que la répression dont elle a été l’objet avant de me poser quelques questions sur l’attitude officielle face à des vies perdues pour une cause nationale que personne ne peut récuser.

La Conférence Nationale, l’espoir de tout un peuple

Quoique l’on dise, après l’indépendance en 1960, la Conférence Nationale a constitué le moment le plus mobilisateur de l’espoir des lendemains meilleurs dans l’histoire de la République Démocratique du Congo. De loin plus que tout ce qui est survenu après dans la confusion et des actes de violences ayant causé des gâchis énormes pour l’avenir du pays.

A ce propos, on se rappellera que la Conférence Nationale a été arrachée après un bras de fer sans concession entre la dictature chancelante d’une part, et les courants politiques d’opposition auxquels venait de se joindre une société civile nouvellement organisée d’autre part. C’est ainsi que, le 11 avril 1991, le Président Mobutu a signé, bien malgré lui, une ordonnance convoquant cette conférence, annulant par la même occasion celle du 6 mars 1991 portant création et composition de la Conférence Constitutionnelle. Après plusieurs péripéties au cours desquelles le pouvoir a tout fait en vain pour contrôler la Conférence Nationale, il a fini par suspendre ses travaux les 19 janvier 1992, par la voix du Premier Ministre Nguz Karl I Bond. Pendant tout ce temps, le choix de Monseigneur Mosengwo, une personnalité religieuse de la société civile et de Joseph Ileo, issu de l’opposition politique alors crédible dans l’opinion, ont cristallisé l’espoir collectif de sortir de la dictature.

La plus grande manifestation populaire de l’histoire du pays

Au moment où le peuple était en droit de croire que la Conférence Nationale allait aborder des questions de fonds tant attendus, voilà que le gouvernement en place, au bout de stratagèmes pour s’imposer, a recouru au blocage. C’est alors qu’un groupe d’une dizaine de personnes s’est constitué en un Comité Laïc de Coordination pour canaliser le ressentiment général vers une force d’expression populaire collective Ce Comité réussira à obtenir le soutien, à travers tout le pays, des milliers de religieuses, religieux et animateurs laïcs des communautés de base des Eglises chrétiennes, dont notamment les catholiques et les protestants. Ses appels, signés par Pierre Lumbi et François Kandolo, sont parvenus à réaliser la plus grande mobilisation populaire de l’histoire de la République Démocratique du Congo pour une cause nationale. Cela, malgré l’opposition du haut clergé catholique et de l’autorité urbaine de la capitale. En effet, le 10 février 1992, la Conférence Episcopale de l’Eglise Catholique avait lancé un communiqué pour déclarer que « ni l’assemblée plénière, ni le comité permanent des Evêques n’ont pris une décision ni donné des directives concernant une manifestation publique quelconque le 16 février 1992” . Quant au Gouverneur de la Ville de Kinshasa en ce moment-là, Kibabu Madiata Nzau, il avait fait publié un communiqué officiel le 15 févier 1992 décrétant illégale la marche projetée pour le lendemain.

Ainsi, passant outre l’interdiction des autorités tant morales que politiques, posant de ce fait un acte de désobéissance religieuse et civique, le peuple congolais avait décidé d’assumer son destin. Le dimanche 16 février 1992, après le culte dans les églises et les temples, des millions de manifestants ont pacifiquement marché dans les rues en priant, chantant, brandissant des crucifix, chapelets et rameaux. Ils se sont ainsi exprimés pour que leur espoir de la démocratie, la paix et la prospérité symbolisé par la Conférence Nationale ne soit pas décapité.

A Kinshasa, des colonnes de manifestants ont été dispersées au gaz lacrymogène et par des coups de feu tirés à bout portant. Des dizaines de morts ont été dénombré sans qu’un bilan exhaustif ne soit établi. Des cadavres rassemblés au pied de l’autel de l’Eglise Saint Joseph de Matongué dans la Commune Kalamu ont été enlevés par un commando qui, à la même occasion, a profané l’intérieur de l’Eglise. Le plus jeune des tués aux abords de cette Eglise avait 10 ans. Il s’appelait Bob. Le pays ignore où il a été enterré et où ont été enterré les autres morts de ce jour-là.

Des marches ont été aussi organisées à Kikwit, Idiofa, Matadi, Kananga, Kisangani, Bukavu, etc. Des témoignages non officiellement démentis ont révélé que, à Kinshasa, les tueurs étaient des étrangers qui s’exprimaient en langues non pratiquées localement.

Malgré la répression, face à l’obstination du pouvoir de ne pas laisser se poursuivre les travaux de la Conférence Nationale, les chrétiens ont encore répondu à un autre appel du Comité Laïc de Coordination lancé dans la clandestinité et ont marché le 1er mars 1992 dans leurs différents quartiers.

Dans tout ça, un fait est à signaler. Les opposants politiques, dont particulièrement Etienne Tshisekedi, le plus emblématique à cette époque, n’étaient pas avec le peuple dans la rue. Ce fut une expression du peuple lui-même, pour l’espoir et la démocratie, sans implications des acteurs politiques.

Que valent les vies fauchées ce jour-là ?

Face à l’indifférence affichée par les autorités du pays pendant plus de 15 ans, il y a lieu de se poser une telle question. Des citoyens ont été tués en réclamant pacifiquement la démocratie pour que le pays soit tiré de la tyrannie et la misère, qu’est-ce que ce fait signifie pour le pouvoir congolais ? Cet acte n’est certes pas le seul, il y en a eu bien d’autres après. Mais, au moment où il a été réalisé, il a fait office d’un exorcisme collectif de la peur et, de ce fait, a ouvert la voie à d’autres actes courageux pour la même cause de la démocratie synonyme de paix et prospérité pour tous les Congolais.
Pour des autorités issues d’un processus pour lequel des dizaines de personnes ont versé leur sang, qu’est-ce qui peut expliquer une telle attitude ? Pourtant, il n’est que justice que la nation congolaise rende hommage à des gens morts pour que le pays soit meilleur. Ne serait-ce par un geste symbolique, tel l’érection d’un mémorial où les gens viendraient se recueillir pendant quelques minutes et non décréter toute une journée fériée en plus dont le manque à gagner ne ferait que du tord à l’économie du pays.

Quoiqu’il en soit, les vies fauchées le 16 février 1992 valent mieux, de loin mieux que l’indifférence dont elles sont l’objet des autorités politiques congolaises.

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  • Le porte-voix de tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde, ils peuvent se faire entendre.. Oui, je veux donc parler au nom de tous les « laissés pour compte » parce que « je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger ».
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