Le grand Che-Guevara doit agir...Une exigence pour le chef de l'Etat !
Quand on regarde attentivement l’évolution politique de notre pays
depuis les tragiques événements du mois de mars dernier, on ne peut pas
ne pas voir que nous sommes en train de nous éloigner des visées pour
lesquelles notre peuple avait vivement souhaité l’avènement de la
troisième République. Nous avions voulu la paix, nous récoltons
l’insécurité. Nous cherchions ardemment à devenir une démocratie, nous
sommes en plein processus d’instauration d’une dictature aberrante. Nos
ambitionnions de construire un espace de prospérité collective, nous
nous trouvons sur la voie de l’intensification de la corruption et de
la mise sur pied d’une oligarchie incompétente et prédatrice, qui nous
plongera dans une misère plus effroyable encore que celle
d’aujourd’hui, si les tendances actuelles se prolongent. Nous désirions
un gouvernement dynamique et créatif, nous avons aujourd’hui une équipe
dirigeante désemparée et immobile, incapable d’imprimer sa marque sur
les orientations de la vie politique de la nation. Nous désirions la
brise, nous avons la tempête.
L’exil du sénateur Jean-Pierre Bemba, le processus de sa mise en examen
pour crimes contre l’Etat, l’intimidation constante des députés de
l’opposition par des forces militaires ainsi que le refus de cette
opposition parlementaire de participer aux travaux de l’Assemblée dans
les conditions actuelles d’insécurité sont des signes qui ne trompent
pas. Ceux qui veulent n’y voir qu’une simple poussée des dents dans la
croissance de la troisième République ne comprennent pas encore ce qui
se trame réellement dans l’arène politique de notre pays. Ils ne voient
pas que le pouvoir actuel veut tout simplement en finir avec toute
opposition politique pour instaurer un régime dont je crains qu’il nous
ramène aux pires périodes de la terreur mobutiste. Avec tous les
risques de redonner à certains leaders l’envie et l’opportunité de
reprendre la lutte armée, de paralyser complètement le fonctionnement
des institutions du pays et de nous replonger dans un nouveau bain de
sang, selon la logique de la « libération » qui a mis fin au régime du
Maréchal Mobutu dans la tragédie nationale qui est encore fraîche au
fin fond de nos mémoires.
Qui est responsable de cette dérive du pays ?
Il faut le dire clairement pendant que le processus de dictature se met
encore en place : le responsable de la logique actuelle est notre
président de la République lui-même. Sa psychologie est devenue
dangereuse. Les paroles, les faits et les gestes qui portent cette
psychologie et la manifestent sont de plus en plus nuisibles. Ils nous
mènent tout droit vers une catastrophe contre laquelle nous devons
lutter dès maintenant, si nous ne voulons pas que notre pays sombre
dans un nouveau chaos.
Au lieu de nous divertir dans des commentaires sur l’avenir politique
de Jean-Pierre Bemba ou sur les orientations des institutions
financières internationales pour notre pays ; au lieu de nous
intéresser aux manœuvres de politiciens de seconde zone qui jouent
aujourd’hui les seconds couteaux dans la vie politique sur notre sol,
il est urgent que nous nous nous concentrions sur la maladie du pouvoir
qui s’est emparé du chef de l’Etat et sur la manière d’en juguler les
effets dès maintenant, avant qu’il ne soit trop tard.
A mes yeux, il n’y a qu’un problème politique majeur qui mérite notre
attention. C’est celui du complexe de crocodile qui pousse Joseph
Kabila Kabange à penser qu’il doit devenir l’unique caïman dans le
marigot de la République démocratique du Congo. Si rien n’est fait pour
détourner le président de la République de cette obsession, celle-ci le
fera imploser d’une manière ou d’une autre. Et le pays plongera dans un
gouffre dont nous risquons de ne pas sortir pendant très longtemps.
J’insiste : le nœud de notre vrai problème est là maintenant, et nulle
part ailleurs. Il faut le dénouer avec intelligence ou le couper
purement et simplement, comme Alexandre le grand le fit face au nœud
gordien.
Un chef d’Etat malade de son propre itinéraire politique
Le problème dont je parle est celui que représente notre président
actuel : la conscience qu’il a de n’être pas encore un vrai chef d’Etat
avec tous les pouvoirs afférents à ce titre dans les pays
intertropicaux d’Afrique. Plus je porte mon regard sur l’itinéraire
politique de Joseph Kabila Kabange en analysant les différentes étapes
de sa présence à la tête de notre pays, plus je me rends compte qu’il
est torturé par l’image qu’il sait que nous avons de lui, nous peuple
du Congo dans notre imaginaire profond.
Quand il accède à la magistrature suprême après l’assassinat de son
père, tout le monde le voit comme un jeune homme mis à l’avant-scène
par des barons aux abois face à l’imprévu. Il apparaît comme une
solution de circonstance qui arrange le système mis en place par les
nouveaux maîtres de la Rdc, à la suite de l’invasion du pays par
l’armée rwandaise. A l’époque, j’ai trouvé symptomatique que
l’idéologue et étincelant griot mobutiste, puis kabiliste, Dominique
Sakombi Inongo, ait proposé d’affubler le nouveau président d’un
sobriquet qui disait bien ce qu’il voulait dire : Junior. De même,
l’étonnant et provoquant personnage de la République, Abdoulay Yerodia
Ndombasi désignait le chef de l’Etat par le nom très familier de
fiston. Cette manière de nommer le nouveau président faisait de la RDC
le pays « dont le prince est un enfant ». Même la population s’était
mise à appeler Joseph Kabila d’un nom affectueux mais significatif :
Muana, le bébé, le petit, l’enfant, le jeune homme. A cette époque, le
président ne pouvait pas avoir une autre conscience de lui-même que
celle d’un enfant mis au pouvoir par les tontons pour une politique qui
ne pouvait être que celle des tontons. Il n’était pas l’homme fort de
la Rdc, mais l’enfant énigmatique que personne ne connaissant
réellement, dont on se demandait même s’il parlait français ou s’il
était vraiment originaire de notre pays.
Quand il s’avisa de prendre véritablement le pouvoir en se délivrant de
l’emprise des tontons, c’était pour tomber dans les griffes
internationales de certains princes d’Occident. Chirac parlait de lui
comme d’un jeune homme qui apprend vite. Il éprouvait sans doute à son
égard la tendresse d’un grand-père qui veut bercer et pouponner son
petit-fils encore dans les langes du pouvoir. George W. Bush s’était
aussi pris d’une sympathie paternelle pour le jeune président
congolais. La Belgique donna d’autres tontons au nouveau chef d’Etats.
Parmi eux figuraient à la fois des « communistes » amis de
Laurent-Désiré Kabila, des nostalgiques de la grandeur belge en Afrique
et de nouvelles figures du rayonnement international de la Belgique
comme Louis Michel. J’imagine que ces nouveaux grands-pères, pères et
tontons blancs de Joseph Kabila Kabange l’ont entouré d’un cordon
politique sécuritaire qui l’a enserré dans un système où il s’est plu à
développer une psychologie d’enfant choyé, de môme gâté à qui tout
vient comme par grâce, par intervention divine. J’imagine aussi que ces
nouveaux « pères » de l’orphelin devenu chef l’ont confié à des
parrains pour le guider afin qu’il durcisse le cuir et devienne un
homme capable d’imposer son pouvoir à tout un peuple. Compte tenu du
fait que le pays dont « le prince est un enfant » constitue en même
temps un fabuleux eldorado dont il fallait exploiter tranquillement les
richesses, les parrains ont cherché à devenir les vrais maîtres de ce
paradis géologique, enfermant encore plus Joseph Kabila dans le
complexe de bébé pour qui on fait tout dans l’aura du pouvoir. Avec un
tel complexe, on a beau être à la tête d’une immense et splendide
Arcadie, on ne peut pas se sentir comme un vrai président. On jouit des
ornements et des fastes factices du pouvoir, mais on n’est pas le
pouvoir et on n’a pas le pouvoir face à son propre peuple. Quand, en
plus, on sait que tout le monde sait cela, on souffre de ne vivre que
selon les apparences et de ne pas goûter aux vrais délices de
l’autorité. Pour un homme politique, il n’y a pas pire souffrance que
celle-là.
En même temps que par les parrains d’outre-mer, la psychologie de notre
président a été forgée par l’expérience de la « Transition 1+4 ». Une
période pénible au cours de laquelle Joseph Kabila Kabange fut enchaîné
dans un système où il ne pouvait qu’être à l’étroit, avec quatre
vice-présidents qui lui faisaient manifestement ombrage. Ces quatre
personnalités avaient de quoi étouffer de leur aura le chef de l’Etat
et de réduire à néant la visibilité de son pouvoir. Jean-Pierre Bemba
jouissait d’une imposante présence physique et d’une puissance de
personnalité littéralement phénoménale. Avec son autorité naturelle et
son bagout de tribun séducteur, il écrasait le chef de l’Etat et le
réduisait au silence de celui qui n’a rien à dire et à l’implacable
flegme de celui qui prépare sa revanche dans l’ombre. Zaidi Ngoma
brillait par son statut d’intellectuel de haut niveau et d’homme
politique qui maîtrise les problèmes majeurs du monde d’aujourd’hui.
Azarias Ruberwa, malgré son relatif effacement, travaillait à l’ombre
de puissants parrains rwandais et faisait montre d’une forte
intelligence et d’un bon sens crédible dans l’approche de grandes
questions nationales. Abdoulaye Yerodia Ndombassi détonnait par le côté
fantasque de son personnage et par ses écarts de langage qui le
rapprochaient du petit peuple. Dans la hiérarchie 1+4, il n’était pas
possible que le « 1 » puissent vraiment s’affirmer comme le chef, même
pas comme premier parmi les égaux. Le président n’était que le
représentant d’une faction parmi d’autres factions, dans des rapports
de force fluctuants entre seigneurs de la guerre. Il a vécu la «
Transition » comme un réel calvaire, comme une camisole de force dont
il fallait se débarrasser le plus vite, grâce à l’aide des parrains
internationaux. En fait, il en a toujours voulu à la « Transition » de
l’avoir placé dans l’éteignoir de ses encombrants et ambitieux
vice-présidents.
La fin de cette « maudite » « Transition » a été une aubaine pour le
chef de l’Etat. « Plébiscité » à ses propres yeux par le peuple, « élu
» pour être le nouveau et unique timonier de la nation, « débarrassé »
de tous ses concurrents par un processus électoral ambigu, il a cru que
le chemin était libre pour devenir un vrai président, le « boss » qu’il
rêvait d’être vraiment, le seul « Caïman » du marigot congolais. Les
faucons de son camp l’ont poussé dans ce sens. Ils sont même devenus
ses nouveaux maîtres qui l’empêchent de grandir et de s’affirmer comme
un président lucide et capable d’appréhender les enjeux de notre avenir
et d’orienter le destin de notre pays selon des perspectives plus
fertiles et plus hautes que les petits intérêts de son clan politique
ici et maintenant.
Depuis les tontons compagnons de son père jusqu’aux faucons actuels de
son parti en passant par les parrains « d’outre-mer » et les
vice-présidents encombrants du système « 1+4 », le président de la
République n’a pas encore eu d’espace pour se sentir psychologiquement
et politiquement maître du pays. Son problème actuel est dans le
complexe que son itinéraire a forgé en lui et dont il cherche
maladroitement à sortir. Sa rhétorique belliqueuse actuelle, sa
gestuelle de grenouille qui gonfle pour parader devant le peuple, ses
manières de vouloir s’affirmer par la violence de l’armée et de sa
garde présidentielle, sa foi dans la peur que ses agents de l’ombre
sont chargées d’inoculer dans le corps social, tout indique que le chef
de l’Etat veut recourir aux recettes du machiavélisme le plus abscons
et à la célèbre et atroce conviction des princes qui veulent être
craints pour pouvoir régner. Sa garde prétorienne de 15.000 hommes sert
désormais cette vision de la politique et du pouvoir. C’est elle qui
constitue la véritable légitimité du président dans notre système
politique, et non notre peuple qui voit maintenant ce que les nouveaux
dirigeants de notre pays sont réellement.
Tant que le président sera dans cette psychologie du complexe de
caïman, il ne conduira le pays nulle part. Il tournera en rond dans sa
cage où l’enferme ses faucons et se coupera de plus en plus du peuple
qui le haïra peu à peu et lui tournera le dos comme ce fut le cas avec
son père et avec Mobutu. Quand on sait comment ces deux derniers
présidents ont quitté la scène politique nationale, on a pas besoin
d’être prophète pour savoir à quelle fin désastreuse les faucons du
régime conduisent Joseph Kabila Kabange dans son actuelle politique de
caïman aveugle.
Juguler la politique du pire
S’il y avait autour de notre président un think thank intelligent
capable de lui proposer des orientations d’action pour sortir de la
politique aberrante qu’il mène maintenant, il y a longtemps qu’il lui
aurait clairement montré qu’il avait le choix entre quatre lignes
politiques possibles pour sortir de sa situation psychique et qu’il a
choisi la pire.
La première politique qu’il pouvait adopter est celle de la grandeur de
notre nation. Elle l’aurait conduit à vaincre ses complexes « d’enfant
gâté » et de « jeune humilié » en recherchant avec ardeur le
rayonnement politique et socio-économique de son pays dans le monde.
S’il avait voulu pour la Rdc un destin à la hauteur de nos richesses
naturelles et de nos atouts humains, Joseph Kabila Kabange aurait pu se
donner l’aura d’un grand homme d’Etat dont la victoire électorale
pouvait servir à rassembler autour de lui tous les grands leaders et
toutes les forces intellectuelles, politiques, morales et spirituelles
de la nation dans une commune ambition face au présent et face au
futur. Lui qui s’était présenté à nos suffrages comme le candidat du
peuple n’aurait pas dû continuer à se comporter comme l’homme du Pprd
et de l’Amp, selon la logique partisane qui a conduit le pays vers son
éclatement actuel entre la majorité présidentielle, l’opposition
constitutionnelle déjà brisée dans son élan et l’opposition historique
qui n’a aucune foi dans nos institutions de la troisième République.
Cette division ne tardera pas à faire surgir une quatrième opposition,
redoutable et farouche : la nouvelle opposition armée dont le but sera
d’instaurer la quatrième République. Je ne sais pas si le président est
conscient de ce risque et s’il sait qu’il ne peut le juguler que par
une politique de main tendue à toutes les énergies politiques et
sociales de notre nation.
La deuxième politique que Joseph Kabila Kabange aurait pu choisir est
celle de son propre père, Laurent-Désiré Kabila : la politique du
despotisme éclairé. Elle consistait à vouloir le bien du pays même dans
le recours aux moyens de dictature complètement répréhensibles. Dans sa
politique, Laurent-Désiré Kabila ambitionnait de donner au Congo une
stature de pays capable de vaincre la pauvreté par l’ordre, le travail
et la discipline. Tout le mal de son despotisme avait une part
d’ambition justifiable que seule la désorganisation de son système
transforma en dictature incohérente et brouillonne. Au fond, Mzee ne
parvint pas à incarner réellement le despote éclairé qu’il voulait
être. Il n’en eu ni l’intelligence, ni la force, ni le temps, malgré sa
volonté. Il était trop pris dans les rapports de force entre ses
parrains devenus ennemis et ses alliés transformés en prédateurs sans
scrupules pour être en mesure de penser un système politique conforme à
ses ambitions, dans un grand dessein de rassembler tout son peuple
autour de lui pour construire le futur. Tel qu’il apparaît dans sa
manière actuelle de vouloir diriger notre pays, Joseph Kabila Kabange
n’a pas choisi d’être un despote éclairé, un dirigeant qui veut le bien
de son pays et utilise la force coercitive que lui confère les
institutions pour mettre tout le monde ensemble en vue de bâtir un
présent de prospérité et un avenir de grandeur. Il s’agite comme s’il
était encore en quête du pouvoir alors qu’il a ce pouvoir entre les
mains et qu’il ne sait pas ce qu’il faut en faire en matière de bien
pour la nation. Du point de vue politique, il n’est pas le fils de son
père.
Le troisième choix pour notre président est la politique mobutiste de
la destruction du pays dans une dictature obscurantiste et féroce, sans
vision pour l’avenir ni autre dessein que la glorification du Chef et
de son clan de zélateurs et de prédateurs. C’est la politique du pire.
J’ai le sentiment que c’est cette politique qui a le vent en poupe dans
l’imaginaire du chef de l’Etat et de ses conseillers les plus écoutés.
Le président de la République ne se rend pas compte que son choix est
désastreux non seulement pour la nation congolaise, mais pour lui-même.
Vouloir gouverner selon le système de peur instauré par Mobutu, c’est
se tromper d’époque. C’est oublier que Joseph Kabila Kabange n’est pas
Mobutu Sese Seko Kuku Gbendu Waza Banga. C’et surtout ne pas tenir
compte du fait que la mentalité de notre peuple a changé en même temps
que les conditions de l’ordre mondial. S’il s’obstine à se montrer plus
faucon que ses faucons, le président ne devrait pas s’étonner d’être un
jour renversé par ses propres parrains qui veulent un Congo paisible à
exploiter paisiblement. Ceux d’entre eux qui croient encore que le
mobutisme sans Mobutu est possible ne tarderont pas à déchanter bientôt
et à préférer à leur poulain actuel un homme plus conciliant et plus
ferme en même temps. N’est-ce pas cette ligne de la « fermeté
conciliante » que trace déjà Vital Kamerhe au parlement, en fonction
des rendez-vous futurs ? Les conseillers qui ont mis dans la tête du
président d’exclure Bemba et Tshisekedi du jeu politique congolais et
de transformer ce jeu en arène où il serait l’unique caïman l’ont
trompé. Ils l’ont mis sur la pente de la rupture avec notre peuple, qui
n’est plus disposé à subir une nouvelle dictature.
Que le président se le tienne pour dit : s’il est incapable de mette
notre pays sur la voie d’une démocratie paisible et créative, il n’est
pas digne d’être notre président. Malgré ses quinze mille soldats de sa
garde présidentielle, la démocratie le vaincra et il disparaîtra tête
baissée de la scène de notre politique, chassé à la fois par ses
parrains, par ses faucons actuels et par le peuple qu’il veut dominer.
Il ne lui reste donc qu’une option à prendre : celle de sa propre
grandeur et celle de la grandeur de notre nation. Espérons qu’il est
suffisamment intelligent pour prendre ce chemin d’avenir et sortir de
sa politique actuelle du pire.